1989 • Contact

Le Pont du Gard

Commande de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon aux photographes, Christian Milovanoff, Tom Drahos, Knut Wolfgang Marron, Jean-Louis Garnell, Randy Saharuni, Mimmo Jodice et moi-même.

Le livre « Vues du Pont »


Athènes

Proposition d’un libraire dont le projet était d’éditer un premier livre de photographies.

Journal 1989

17 juin
Hier mon éditeur me disait qu’il ne savait pas encore comment je fonctionnais, ni même comment serait le livre ou son contenu. Aurais-je besoin de lui ? Car je sais que je ferais tout pour m’égarer, dévier. Je n’ai jamais fait d’album et la plupart de ceux que l’on voit en librairie sont des modèles à ne pas suivre.
J’ai étalé le plan de la ville sur une table sans savoir si c’est la bonne solution. Ne devrais-je pas étaler ma mémoire ? En inventer une autre ? Établir une liste, faire une esquisse, inventer une histoire, une promenade, ne jamais avoir recourt au hasard.
J’ai envie d’aller dans la rue juste pour voir.

19 juin
Je passe beaucoup de temps devant le plan comme s’il détenait un secret, celui d’une longue promenade avec une multitude d’arrêts. Athènes n’est qu’un alibi.

27 juin
Température encore inconnue, je n’en souffre pas, j’aimerais connaître celle de l’an dernier, 47°.
Je travaille avec lenteur, je regarde mes planches contacts chaque soir, j’essaie de trouver le fil conducteur et le trouve.
Je pense à ce que j’aimerais faire après Athènes, parcourir les rues et avenues d’une autre ville, Naples, Marseille ?


Σιωπή


Nom

Sur une proposition de François Beaujouan (éditions du Solier). Réaliser un ensemble texte/image pour l’édition d’un cahier 12 pages 25×32,5 cm.
Deux images tirées à la gomme bichromatée présentées à la fin de ce cahier sur le modèle des livres de géographie illustrées par des eaux fortes pliées et collées.
Tirage limité en cent exemplaires 1988.

Deuxième partie du texte

Le soleil entrait de plus en plus dans la pièce. Elle regardait les photographies du jardin d’Espagne que j’avais emportées. La chaleur était encore plus grande et la fenêtre éternellement ouverte. Elle ne parlait presque pas. Elle semblait heureuse pendant que je nettoyais ma fatigue du voyage en étant seulement là. Elle est partie dans sa chambre et je me suis assis sur le canapé devant la fenêtre. J’entendais le bruit de ses mouvements mélangé à des voix lointaines qui me venaient de dehors. Elle est passée dans le couloir, vêtue d’un peignoir de bain, et j’ai continué à entendre ses pas sur le parquet, l’eau qui coulait sous la douche et une voix de dehors qui résonnait.
Elle avait posé une photographie du jardin d’Espagne sur son oreiller. Elle la regardait tout en peignant ses cheveux encore mouillés puis elle s’est habillée d’une robe bleue sans manches, serrée à la taille. Elle me parlait de cette fenêtre ouverte au-dessus de son lit, d’où pouvait venir le silence de ce dimanche.
Vers minuit nous avons chargé nos bagages dans le coffre de la voiture pour aller autre part, vers l’océan.
Quand elle s’est levée, souriante, habillée d’un chemisier blanc, cette journée m’apparaissait déjà très longue, sans début, une succession d’éternités. J’avais pris mon petit déjeuner seul sous les pins. J’avais lu, écrit. Je la regardais préparer ses tartines sans rien lui dire, ou bien je lisais Une ville invisible d’Italo Calvino, ou bien encore nous parlions de l’Espagne.
Tard dans l’après-midi je l’ai accompagnée jusque sur la plage. Elle s’était noué un grand foulard autour de la taille. Nous marchions presque sans bruits, sa démarche était musicale. Là où il n’y avait plus personne, elle s’est allongée sur le sable. Le soleil était bas. J’ai fait une Polaroid puis elle s’est levée en dénouant le foulard qu’elle a laissé tomber. Elle est entrée dans l’eau et j’ai regardé le paysage teinté de sa présence par une paire d’espadrilles et son foulard accroché à une touffe d’herbe. J’ai photographié son absence en attendant qu’elle revienne et nous avons regardé ce portrait comme l’image oubliée d’un futur sur cette plage.
Je devinais parfois son regard pâle et calme. La route défilait à travers le pare-brise. Nous regardions la ville. Il faisait nuit. Tout ce qui nous entourait n’avait plus d’appartenance et l’on se racontait cette obligation d’être là à ne penser à rien d’autre qu’à ce qui était visible, invisible, indicible.
Je ne savais plus si les fenêtres étaient restées ouvertes. Il était très tard. Et les volets de sa chambre, barrière à la chaleur du jour, filtraient les sons de cette nuit-là. Nous entendions des gens parler, rire, des tintements de couverts sur des assiettes et la musique du juke-box d’un restaurant espagnol. Elle cherchait le silence entre ce bourdonnement et nos respirations. Cette journée aurait pu être celle d’une fête dans une ville. Le bruit du dehors et celui de nos mouvements sur l’oreiller n’étaient qu’un moment de quiétude.


Silence


Extrémités


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